Invité d’honneur : Serge Durand, directeur du CEA-CESTA, c’est à dire du Mégajoule. Ne pas confondre avec Daniel Durand, secrétaire national du Mouvement de la Paix, opposé de fait à la fabrication de bombes atomiques.

Toujours méfiant, je me rends sur place une heure à l’avance. et j’arrive en même temps que trois camions de CRS ! Avant qu’ils ne soient en place, je me glisse dans le bâtiment et me cache dans une salle de réunion. Des fois que mon " ami " le directeur de Cap-sciences ne me repère et ne me fasse expulser.

Excès de prudence : lorsque je sors de ma cachette et gagne le salle du débat, personne ne m’arrête. Par la fenêtre, j’aperçois les force de l’ordre en place, mais l’entrée reste libre.

Le directeur de Cap-sciences s’approche et s’adresse à moi, espérant que le débat restera digne. Ben quoi, je suis digne, moi ! Je me pose même des questions d’éthique, c’est dire !

J’avale une partie des toasts qui ornent les tables. On peut être digne et affamé : c’est toujours ça que les " bombatomistes " n’auront pas !

La conférence commence. Très technique. Le directeur du mégajoule est secondé par de nombreux acolytes plus spécialistes les uns que les autres qui se succèdent. Un spectateur intervient : " Pourquoi prenez-vous un atome de deutérium et un atome de tritium, et non pas deux atomes de deutérium ? " Ben oui, c’est vrai ça, pourquoi ? L’orateur ne sait pas, il est surtout spécialiste du laser. Un de ses collègues intervient : " C’est parce que c’est plus facile comme ça ". Imparable. Le questionneur a l’air satisfait.

Au bout d’une heure, enfin, on demande s’il y a des questions. Je lève la main et on me fait passer le micro au plus grand désespoir du directeur de Cap-sciences. Je présente mes excuses car je veux poser une question éthique et ce n’est sûrement pas le moment (ce n’est jamais le moment).

Je rends hommage au directeur du Mégajoule qui a reconnu de lui-même que ce laser n’existait que du fait du programme de simulation (pour la mise au point des bombes atomiques). Jamais cet " outil " n’aurait été construit pour la recherche civile. Ca a le mérite d’être clair.

Je rappelle - car il semble que des gens l’oublient un peu trop facilement - que les bombes atomiques sont faites pour massacrer des populations. Que plusieurs des concepteurs des bombes américaines qui ont rasé Hiroshima et Nagasaki se sont dit après coup " Mais qu’avons nous fait ? ". Je demande donc aux scientifiques présents de démissionner AVANT d’être complices de massacres nucléaires et de s’engager à s’adresser à leurs éventuels successeurs pour leur demander de démissionner à leur tour et ainsi de suite.

Pour faire bonne mesure, je signale que, avec les chambres à gaz, les bombes atomiques sont les créations les plus abjectes de l’humanité. Ca jette un trouble. J’ajoute que, certes, les scientifiques peuvent dire qu’ils ne lancent pas les bombes atomiques, ils les mettent " seulement " au point, mais je fais le parallèle avec Papon qui disait qu’il n’avait gazé personne, il avait juste mis les gens dans les trains. Ca gronde dans les rangées. Le directeur du Mégajoule tente une contre-attaque : " Ce sont les politiques qui décident, je ne suis qu’un EXECUTANT ". Ses collaborateurs sont atterrés. Bien sûr, je l’achève : " C’est bien ce que je disais : vous parlez comme Papon ! ".

Le directeur de Cap-sciences intervient alors pour sauver son invité en assurant que l’éthique, ça commence à bien faire, et qu’il faut revenir au débat technique.

Théâtralement, je clame que si l’éthique laisse la place au deutérium, je préfère partir et, tout en demandant à nouveau aux scientifiques de démissionner, je me retire.

Voilà. Bon, je sais, ils vont faire le Mégajoule quand même. Mais j’aurais au moins essayé.