Nouvelle primée
La fête ou l’assiette ?
Par Perline, lundi 3 novembre 2008 à 00:00 :: En vrac ::#163

Cette nouvelle a reçu le premier prix du concours Le goût en fête, organisé par le Comité d’Action Sociale Culturelle et Sportive du 3ème arrondissement de Paris, le 17 octobre 2004.
Flora chipotait avec sa fourchette, la tête basse.
- J’en veux pas, j’aime pas les tomates.
Valentin renchérit.
- Moi nan plus, ni les betteraves.
Maman avait fait du mieux qu’elle pouvait : pour ce dernier samedi avant la rentrée, elle avait mis les petits plats dans les grands.
Les tomates côtoyaient la betterave, mais aussi le chou, le raisin et l’avocat, sans oublier le taboulé, la carotte et la mirabelle.
Elle avait pris soin d’arranger les couleurs, pour la beauté de la table, et la splendeur du repas.
Le tout était superbe, chatoyant, éblouissant et il devait en émaner une attraction irrésistible. Enfin, selon elle.
Las !
Là où elle voyait un tableau de De Vlaminck, ils ne voyaient que des tomates et des betteraves, qu’ils n’aimaient pas, disaient-ils. Papa n’était pas non plus un fanatique de la variété, et il ne semblait pas lui-même très convaincu quand il affirmait :
- Mmmmm, vraiment, succulent ma chérie.
Elle hésitait depuis longtemps à leur demander ce qu’ils voulaient manger, invariablement la réponse était « purée » pour les petits, « pâtes » pour le grand.
Et puis, soudain papa décréta :
- Puisque c’est comme ça, pas de fête foraine demain !
Maman lui jeta un regard noir. Tous se faisaient une joie de cette sortie, déjà manquée la semaine précédente à cause d’une pluie incessante. Alors que, non seulement ce week-end s’annonçait radieux, mais de plus c’était le dernier jour de la fête pour cette année.
Soudain, Maman se leva bruyamment, sans prononcer un mot elle se dirigea vers le placard, en sortit les cure-dents et le plus beau plat, réservé aux jours d’anniversaires, le posa en repoussant tout ce qui la gênait, puis se rassit.
- Puisqu’on est privé de fête foraine dehors demain – elle fusilla du regard le père de ses enfants -, c’est ici et aujourd’hui que je vous la propose, la fête.
Elle prit un raisin, une olive et, grâce à un cure-dent, en fit un bonhomme.
Le taboulé étalé au fond du plat figura le sol sablonneux, l’avocat écrasé la pelouse et le poivron rouge découpé de jolis coquelicots.
Un tipi orange émergea de lanières de carottes, à côté de radis figurant élégamment des troncs d’arbres, surélevés de leur houppe de feuilles.
Les champignons firent des maisons de lutins, posés sur des tapis de laitue.
Tout le temps que dura la construction, on aurait pu entendre une mouche voler car personne n’ignorait le dicton familial : Maman en colère, mieux vaut se taire...
La fête trônait au beau milieu de la table.
Soudain, Valentin demanda, d’une toute petite voix :
- Je peux manger la tête du bonhomme ?
Papa et maman se retournèrent vers lui l’air ébahi.
- Évidemment mon chéri, répondit interloquée maman.
- Et moi, surenchérit Flora, l’arbre rose ?
- Bien entendu !, rétorqua, tout de même un peu étonnée, Maman.
En un clin d’oeil, tout disparut : les concombres, les radis, et même les betteraves.
Papa se tourna éberlué vers ses deux rejetons et proclama :
- Demain, fête foraine !
Les enfants hurlèrent de joie.
- Sans toi, avertit Maman l’oeil pétillant de malice, tu n’as rien mangé...
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